Il était une fois, la jeune fille au chevreau…Cela aurait pu être un joli conte de Noël. Mais « aurait pu » seulement.
Elle s’appellait Marcelle Battu. A 17 ans, elle pose comme modèle pour une sculpture de Marcel Courbier » La jeune fille au chevreau ». Nous sommes dans les années 20. Elle devient une vedette locale.
L’histoire aurait pu être belle s’il n’y avait pas eu la guerre. La deuxième guerre mondiale pour être plus précise. Et à la Libération, le retour de la « France virile ». Le modèle va connaître alors un destin tragique.
« En ce temps-là, pour ne pas châtier
les coupables, on maltraitait des
filles. On allait même jusqu’à les
tondre. »
Dans les années 20, « La jeune fille au chevreau » est exposée dans les jardins de la fontaine de la ville de Nîmes avant d’être vandalisée à deux reprises en 1944 et finir oubliée dans les réserves de la ville.
La jeune fille y apparaît nue, ses longs cheveux blonds enroulés sur les côtés en macarons, la tête modestement baissée, le corps incliné vers l’arrière, à genoux dans l’herbe, les jambes serrées, le bout des doigts de sa main gauche délicatement posés au sol pour prendre appui, sa main droite offrant un épi de maïs à un chevreau.
Le modèle est très jeune, c’est le corps d’une adolescente qui correspond aux standards de l’époque : petits seins, cuisses charnues, des rondeurs au niveau du ventre et du bassin.
Sa coiffure peut nous rappeler celle de la Princesse Leia Organa dans la saga Star Wars, près d’une soixantaine d’années plus tard.
La sculpture est belle, gracieuse et délicate. Elle offre un symbole de pureté et d’innocence.
Marcelle Battu est ainsi exposée par le sculpteur nîmois Marcel Courbier et elle devient une vedette locale.
Les années passent. Marcelle s’appelle désormais Mme Marcelle Polge. La jeune fille est devenue une jolie jeune femme qui attire toujours les regards et elle est de nouveau exposée. Mais de manière très différente…
Elle fait l’objet d’un procès médiatisé pour « intelligence envers l’ennemi » mené par une cour martiale. D’autres femmes ne connaitront pas de procès. Mais il s’agit ici d’un simulacre de justice.
A la Libération, on fait la chasse aux collabos. Parmi la foule vindicative et haineuse, des résistants de la dernière heure, des hommes qui veulent en découdre, des « justiciers improvisés », des gendarmes, quelques femmes qui hurlent avec les loups, soulagées de ne pas subir le même sort….La foule devient juge et bourreau.
Parmi les « collabos », des cibles de choix : les femmes. Célibataires pour la plupart, de 20 à 35 ans, de condition modeste, des proies faciles. On met dans le même sac, celles qui ont collaboré, celles qui ont eu des relations sexuelles volontaires, la « collaboration horizontale » ou imposées avec des Allemands… Celles aussi qui pour survivre dans ces temps de restrictions et de vache maigre, ont travaillé pour « l’Ennemi » en tant que lingères, domestiques, cuisinières…Celles qui se sont « débrouillées » malgré le rationnement…Celles qui ont eu le malheur d’être nées femmes dans un monde en guerre…
On peut régler ses comptes, assouvir des vengeances en calomniant : cette jeune institutrice dont l’histoire n’a pas retenu le nom, qui a été dénoncée par un prétendant éconduit, comme « poule à boches », sous le prétexte que son logement de fonction se trouvait près des baraquements de soldats allemands. Elle sera tondue parmi la population qui l’insulte, qui lui crache au visage…Tondue, humiliée, traumatisée. Sans comprendre ce qu’on lui reproche. Elle quittera son village, ses élèves qu’elle aimait tant et qui le lui rendaient bien. Elle ne se mariera jamais et n’aura pas d’enfant.
Toutes sont violentées, certaines auront le pubis rasé et seront obligées de parcourir un long chemin entièrement nues, suivies par un cortège surnommé le carnaval moche par Alain Brossat. Pour les humilier plus encore. On choisit un lieu public comme la place d’une mairie, les marches d’un palais de justice….On les livre en pâture à la populace. On dessine parfois sur leur front et/ou sur leur corps des croix gammées et elles essuient des jets de pierre.
Dans certains villages, des prostituées seront épargnées car notables et officiers allemands ont fréquenté les mêmes maisons closes, dans d’autres elles subiront le même traitement.
Marcel Granier, président du conseil départemental de la Résistance en Haute-Garonne, témoigne : « A la Libération de Toulouse, le 19 août 1944, ou le lendemain, trois ou quatre femmes nues, une croix gammée dessinée sur le corps, ont été promenées rue Alsace-Lorraine devant une foule en colère. Je travaillais dans la police. On nous a prévenus. Nous sommes allés chercher ces femmes. On les a arrachées à la foule et on les a sauvées. C’était ignoble ».
Mais revenons à la jeune fille au chevreau et à son procès suivi par la presse locale.
« Mme Polge née Marcelle Pattus (Battu) est née en 1907, on lui reproche ses relations assidues avec le commandant Saint Paul, ses fréquentations avec Georges et Yvette, interprètes, ses relations avec Mr Fritz directeur de l’Office allemand de placement, enfin ses moyens d’existence vraiment somptueux. »
Le procureur n’apportera aucune preuve et des témoignages indirects. Les « moyens d’existence vraiment somptueux » se résumeront finalement à quelques coupes de cheveux gratuites de la part d’une coiffeuse en remerciement pour être intervenue pour éviter à son fils une déportation aux STO en Allemagne et un kilo de viande donné par un boucher.
Il évoque » une femme vertueuse, véritable déesse antique, aux agissements bizarres, jouant l’ignorance, l’innocence et même la pureté ». En conclusion, il indiquera que « ses dépenses ne correspondaient pas à ses biens et que ses fautes sont supérieures à ses bienfaits, si bienfaits il y a eu. »
Le 2 octobre 1944, après avoir été tondue, Marcelle Polge sera fusillée. Et comme si cela ne suffisait pas, son cadavre sera mutilé avec une violence inouïe.
Les tontes ont été interprétées comme un moyen pour les hommes de retrouver leur virilité, le retour de la « France virile » après la cuisante défaite de 40, en se réappropriant le corps des femmes, et revenir à un rôle traditionnel homme/femme. La chevelure symboliserait ainsi la féminité. Un châtiment expiatoire pour une population frustrée et humiliée par 4 années de guerre. Les femmes françaises obtiendront le droit de vote en 1944 mais pas celui de disposer librement de leur corps.
L’épuration fait régner la terreur : exécutions sommaires, lynchages, zones de non-droit…On banalise le traitement infligé aux tondues mais il faut savoir qu’avec le retour des tribunaux, il y aura parfois double-peine : spoliation des biens, internement et parfois exécution comme pour Marcelle Polge. Et cela même si « l’intelligence avec l’ennemi » n’existe pas dans le droit français.
Jusque dans les années 70, ce passage peu glorieux de notre histoire n’était évoqué par les médias que comme punition envers des femmes qui s’étaient rendues coupables de trahison. Puis le regard a changé, la tondue a été aussi associée à une femme amoureuse puis seulement bien des années plus tard à une victime, un châtiment injuste qui pouvait être dirigé contre n’importe quelle femme, même des résistantes.
On estime entre 20 000 et 40 000 le nombre de femmes qui furent tondues en France entre 1943 et 1946. Les « tondues » restées en vie ne témoigneront pas. Les enfants nés d’unions avec l’occupant porteront le poids de la honte familiale.
Et sachant que l’homme n’apprend jamais de son histoire, on sait que la barbarie a encore de beaux jours devant elle.
« En ce temps-là, pour ne pas châtier
les coupables, on maltraitait des
filles. On allait même jusqu’à les
tondre. »
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.
Paul Eluard
Il était une fois, la jeune fille au chevreau…
Le procès de Marcelle Polge vu par la presse locale : http://docplayer.fr/22713194-La-jeune-fille-au-chevreau.html
Extrait du témoignage de Simone Ducreux qui évoque les cris d’une femme tondue : http://museedelaresistanceenligne.org/media4359-Tonte-dune-femme-rue-de-Tournon
Exposition « Présumées Coupables » jusqu’au 27 mars 2017, Hôtel de Soubise, 60 rue des Francs Bourgeois, 75003 Paris
http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/web/guest/presumees-coupables-xiv-xxe-siecles
C’était une photo qui me hante depuis un certain temps qui a finalement un sens en tout terme…Merci pour cet article!
Il y a des images, des photos comme ça qui laissent une trace indélébile dans nos esprits. Merci d’avoir commenté.
A défaut de demander des comptes aux résistants de la dernière heure, mais vrais collabos et dénonciateurs, ce sont ces femmes, souvent très jeunes, qui ont servi de bouc émissaire… comme toujours !!!
Il n’y a vraiment pas à s’en venter car c’est vraiment la honte d’être tombé si bas.
Mais le franchouillard est un être vil et arriéré.
Il est temps que la lumière soit entièrement faite sur ces ignominies. Trop de sales choses ont été pardonnées aux « vainqueurs »… C’est juste maintenant que très témérairement on ose en parler et dénoncer ces abominations!
En brandissant crânement « L’histoire pour les nuls », on nous parle plus volontiers, « des crimes commis par LA FRANCE en Algérie ou au Veldiv, que des horreurs révolutionnaires perpétrées en Vendée ou à la libération.
Ce n’est pas une question de nationalité Marianne. Ni d’époque d’ailleurs. Nous sommes en 2017, et l’espèce humaine continue à se distinguer par sa cupidité, sa cruauté et sa bêtise.
Et j’ai faite mienne cette citation d’Anouilh « Il y aura toujours un chien perdu quelque part qui m’empêchera d’être heureuse« .
En écho à votre article émouvant de cette « jeune fille au chevreau », plasticienne engagée, j’ai réalisé une série intitulée « La trahison des images» sur la tonte des « filles-à-boches » à la libération en 1945. La tonte des cheveux participe de la dépersonnalisation, au lieu du châtiment et de l’humiliation.
A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/le-bon-exemple.html
Merci pour votre commentaire.
J’invite mes lecteurs et lectrices à regarder votre travail. C’est un devoir de mémoire, pour ne pas oublier.
J’aime bien votre citation de Karl Marx : « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre » , même si je la trouve optimiste car les hommes ont plutôt tendance à répéter leurs erreurs.